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« Eloge de la décadence », une conversation avec SAEIO et Laura Morsch-Kihn

SAEIO est un peintre autodidacte qui évolue depuis plus d’une dizaine d’années dans le milieu du graffiti en France et en Europe. Chez SAEIO le tag est pensé comme une pratique élargie reliant l’art à la vie ouvrant la possibilité de nombreuses « rencontres urbaines » qui nourrisent son esthétique. SAEIO a introduit depuis peu sa pratique et sa conception du graffiti au sein des institutions artistiques. Le paradoxe de ce passage de l’illégalité à la légalité, de la rue au musée, du graffiti à l’idée du graffiti, de la foule à un public, du collectif à l’individuel, de l’intéraction à sa possible perte nourrissent chez lui de nouveaux questionnements et axes de recherche qui génèrent de nouvelles inventions plastiques.

Cette conversation – débutée en avril 2014 – ne se présente pas dans son intégralité mais a été réduite à des instants de parole. C’est à titre exceptionnel que cette conversation est publiée. Il s’agit des moments choisis par les auteurs et nous invitons les lecteurs à en tenir compte.

Le style SAEIO

Laura : le style de SAEIO détient toujours une certaine fraicheur – notamment- par son côté naïf, brut et spontané. Certaines créations ont un style très proche des premiers graffitis tels qu’on les voit dans l’ouvrage «The faith of graffiti », d’autres sont proches des premiers dessins d’enfants. Ce style volontairement «primitif», à contre-courant du graffiti esthétisant, est-il une manière de se positionner en outsider ?

SAEIO : les références de bases pour SAEIO ce sont les premiers graff à New York dans les années 70, les tags de Philadelphie et les pixação au Brésil qui naissent quasiment à la même époque. L’essence du tag et du graff vient de ces codes-là : naïveté, brutalité et spontanéité. Le fait de vouloir commercialiser le graffiti à beaucoup altéré sa force d’origine. Ça l’a amené vers quelque chose de beaucoup plus lissé, beaucoup plus peureux, dénaturé, aseptisé et décoratif : la peur de ne pas plaire ! C’est aussi une pratique extrêmement populaire, très accessible, donc bien sûr on y trouve de tout. Il y a énormément de choses de mauvais goût dont le « STREET ART » en est devenue l’emblème. Il me semble que le véritable intérêt de cette démarche est justement de mettre en lumière l’aspect très brut, très pur et très naïf qu’il y avait chez les enfants qui peignaient pour la première fois sur des métros ou dans la rue sans absolument rien connaitre de l’histoire de l’art avec pour unique inspiration la ville – à la fois support et medium – sans l’influence des codes et des règles Artistique. Ils ont créé leur propre histoire de manière autonome et à l’image de leur époque, c’est cette révolution que je trouve magnifique ! Ce côté enfant crakisme de 16 ans qui boit du whisky, sous médoc, et qui va peindre sans rien connaître de la peinture, SAEIO s’en inspire et essaie de réinjecter cette force là dans son travail de la même manière que l’art brut a mis en lumière la naïveté et la folie dans la peinture. Outsider je ne sais pas, ce ne sont pas vraiment des choses que l’on décide c’est plutôt le temps qui le dit. Disons que SAEIO n’est pas dans une démarche de graffiti décoratif mais plutôt dans un éloge de la décadence.

Le graffiti comme interaction

Laura : les interactions que provoque l’activité de graffiti avec les effaceurs (équipe de nettoyage) sont pour SAEIO une source d’inspiration et une esthétique. Quels sont les liens qui les unissent ?

SAEIO : j’en reviens à Nolens Volence qui signifie en latin « vouloir, ne pas vouloir » et qui met en scène les effaceurs. Ici le graffeur c’est 50% de la démarche ; en venant appliquer son graff sur un support urbain il va le donner à la ville sachant que l’objectif est la mutation de ce don par l’effacement et que sa finalité est sa disparition, c’est la mécanique du Nolens Volence. C’est une interaction intimiste entre le tagueur et l’effaceur qui devient un binôme. Pour l’effaceur une possibilité de jeu d’effacement infinie s’offre à lui. Le tagueur vient conditionner à son insu l’effaceur en tant qu’artiste. Tu poses exactement le même tag cinq fois, il sera effacé de cinq manières différentes par le même effaceur et c’est ici que s’ouvre un segment lié à l’inconscient où peut se produire l’art. Nolens Volence est un manifeste qui consiste à dire que l’effacement devient une œuvre d’art à part entière.

Le graffiti comme pratique picturale élargie

Laura : le graffiti est une pratique picturale qui induit de nombreuses disciplines telles que la typographie, la performance, la marche, l’errance, l’architecture, la vidéo, la photographie, la musique, la poésie la mise en scène, la chorégraphie, un mode vestimentaire, etc. C’est aussi un mode de vie qui va du vol à la garde à vue en passant par une prise de risque quasi permanente. Au quotidien comment SAEIO vit cet engagement à la fois physique, éthique et moral ?

SAIO : le graff est une pratique greffée au quotidien qui mène à plusieurs problématiques. Dans un premier temps ça touche à ce côté pluridisciplinaire et multimédia, comme tu le dis. C’est en lien avec l’art tel qu’il se pratique aujourd’hui donc avec un caractère avant-gardiste. Là où je pense qu’il y a une ambiguïté qui s’est créée – c’est par le fait que le graff n’est pas encore un mouvement artistique accompli car les graffeurs n’ont pas réussi à le transcender pour véritablement le mettre en scène. Ça se limite majoritairement à des toiles déco pour la plupart de très mauvais goût. Et aujourd’hui les techniques et les notions issues du graffiti sont de plus en plus récupérées par « l’art contemporain » sans que celles-ci s’y rattachent. Donc pour revenir à ta question, le fait que le graffiti soit un art du quotidien ça l’a chargé d’histoire, de sens et d’émotion d’autant plus que c’est une démarche qui est dans la prise de risque du fait de son illégalité et de son positionnement par rapport à la société, ce qui crée un vécu très fort et donc une histoire. Maintenant il s’agit de bien la raconter. Si on amplifie tout cela il y a dans le graff l’idée du don et du sacrifice. C’est une démarche généreuse, faite pour la ville, pour ses pairs qui sont d’ailleurs souvent des ennemis sans compter ce qu’elle implique : amende, défense d’un territoire, voler son matériel en grande quantité, … Ce mode de vie implique donc un engagement fort et chargé de conséquence. Il est également important de rappeler que le graffeur à un rapport au temps très spécifique de l’ordre de l’éphémère car ce qu’il produit est voué à disparaitre. Tout cela créait une démarche à la fois très belle et très puissante avec une réelle dimension poétique, à la différence de l’art contemporain où le sacrifice, l’idée de vécu et d’engagement direct avec la société paraissent moins présent. Pour qu’il y ait une histoire, il faut qu’il y ait des risques et pour qu’elle soit belle c’est à l’Artiste de les prendre et de savoir les raconter. Cela je ne le ressens plus assez dans l’art contemporain.

Le graffiti comme transgression

Laura : si la transgression est l’une des composantes du graffiti est-ce à partir de ce moment qu’il deviendrait art ?

SAEIO : bien sûr la transgression est inhérente à l’art. A rebours, il me semble que la transgression arrive à contre temps. La création est une nécessité, c’est une réponse inévitable aux suggestions émises par la société. C’est instinctivement que cette réponse est amenée, n’ayant pas été prévue, elle innove et devient transgressive. La transgression, c’est peut-être ce qu’il y a de plus dur dans l’art. A l’échelle de l’art, le graffiti est transgressif. Maintenant le vrai problème est : comment transgresser le graffiti lui-même ? Le graffiti est une approche particulière de transgression de l’art notamment car elle la transgresse vis à vis de la loi – soit un autre rapport d’echelle – et non pas seulement par des codes esthétiques. C’est là une nouvelle manière d’aborder l’art.

Le graffiti une esthétique voyou

Laura : transgression de la loi : vol de peinture, violation de la propriété privée et renversement des règles du jeu du monde de l’art nous amène à l’idée que le graffeur est un voyou et qu’il y aurait une esthétique du voyou ?

SAEIO : l’idée de voyou elle se fait par ce processus «  hors la loi ».Pour vraiment appartenir au tag et au graff, é tant donné les risques, il faut posséder une certaine force et une conviction. Il y a donc un tri qui se fait très vite. Une bonne partie des graffeurs ont un idéal du voyou ultra dur, et finisse par subir leur propre sort. Je pense qu’il a deux formes de voyou. Il y a d’abord le voyou qui est transgressif et qui se situe à l’échelle de l’histoire de l’art en s’opposant à des codes, des règles et des mœurs pour en créer de nouveaux. Cela améne une nouvelle dimension en écho avec notre époque qui modèle l’artiste en tant que voyou, au sens premier du terme, celui qui touche à la loi tel un petit brigand ou une racaille – tu vois. Avec le temps ça m’a beaucoup plu de considérer le graff à la fois comme une démarche artistique, noble, en lien avec l’histoire de la peinture et en même temps loin du monde de l’art, toujours de pair avec l’aspect brut et marginal de la racaille parisienne hyper agressive qui te diras « ça peint ! » dans l’idée de placer un pti coup d’tourne vice : le mec ultra premier deg/violent prêt à tabasser un enfant vierge pour faire de grandes lettres tremblantes, à la bombe chrome, en forme de ver-de-terre femme, dans un sous-sol inaccesible, je trouve que c’est une manière assez originale d’aborder la peinture. 

Graffiti et justice

Laura : suite à ton arrestation par la brigade anti-graffiti en 2014 pour « dégradations volontaires de bien destiné d’utilité publique, pénétration et circulation sur voie ferrée » tu as officiellement pris le nom de SAEIO. Qu’est-ce que représente SAEIO ?

SAEIO : en effet à partir de ces faits qui ont été reprochés à SAEIO, j’ai décidé de devenir officiellement ce « SAEIO » et d’incarner cette notion. Je parle de notion car je ne sais pas précisément ce qu’est SAEIO. SAEIO devient un medium pour symboliser et mettre en scène les rapports interactifs entre art/justice, art/espace public, art-pérenne/art de l’instant. SAEIO en tant que concept serait aussi abstraite que l’est la loi. J’ai décidé de l’incarner – comme le jour du procès – et étant donné qu’il s’agit d’interactions la police peut autant être SAEIO que moi je peux l’être car elle a décidé de l’incarner, tout comme le tribunal ou l’avocat ou encore le nettoyeur. Au final SAEIO c’est le point de choc de l’interaction de ces paradoxes.

Laura : étant donné que l’interaction est une composante dans ton travail, la réponse à cette arrestation est devenue le projet  do ut des  ( janvier 2014 – ….). Les documents judiciaires deviennent une archive raisonnée et des oeuvres grands formats dont le prix est fixé en fonction du coût de nettoyage, le procès un récit, les agents des artistes. C’est une réponse assez subversive ? 

SAEIO : ce que je trouve très intéressant dans cette histoire, c’est l’investissement que donne la justice pour ces peintures. Ils ont fait une enquête accompagnée d’un dossier de plus de 300 pages sur 2 années de la vie et du travail de SAEIO, sans que celui-ci ne demande rien. Il y a ici comme une forme de considération de la part de la justice que l’on pourrait aussi prendre dans le sens d’une légitimation et d’une officialisation de ce travail illégal accompli par SAEIO. Une légitimation telle que le travail in situ de SAEIO à désormais une côte fixé par les devis de coût de nettoyage. C’est donc une possibilité pour ce travail d’intégrer le marché de l’art et c’est là une manière de mettre en avant le paradoxe commerciale de la vente d’œuvres de graffiti qui est l’une des problématiques majeure de ce mouvement. Cette enquête devient alors une mise en matière de cette interaction SAEIO/justice et telle une coagulation elle se transforme en œuvre d’art.

A suivre, ……

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